Sweety et l’Oeil de Fer - Partie 2

 


Introduction :
 
Depuis la réactivation du Cœur de Vergrande, la cité mécanique respire à nouveau. Mais dans les profondeurs silencieuses des Archives de Fer, un secret oublié s’est remis en mouvement : un signal.
 
Sweety, Gardienne du Cœur, pensait avoir restauré l’équilibre. Pourtant, ce qu’elle a réveillé dépasse la mécanique, dépasse même la cité : une ancienne conscience, un réseau de Cœurs interconnectés, et un nom oublié de tous… Onyros.
 
Accompagnée de Druyan, son ancien apprenti désormais allié, elle embarque à bord de l’Écluse d’Argent pour traverser les cieux du Nord. Leur mission : comprendre l’origine du signal, découvrir ce qu’est l’Œil de Fer, et affronter les conséquences de leur propre mémoire.
 
Dans cette saison, l’histoire quitte les souterrains de Vergrande pour s’élancer vers les hauteurs, explorer des cités suspendues dans le vide, des esprits mécaniques figés dans le temps, et un rêve collectif inversé qui pourrait bien redéfinir la frontière entre réalité et illusion.
 
Car parfois, ce que l’on croit réparer… réveille ce qui aurait dû rester endormi.


Chapitre 1 - Les Signaux du Nord
 
Deux mois après la réactivation du Cœur, la cité de Vergrande tournait à nouveau à plein régime, mais la paix était trompeuse.
 
Dans l’ombre, les échos du signal s’étaient propagés. Sweety avait installé une antenne de réception orbitale sur la Tour des Ailes, un ancien observatoire oublié des Gardiens. Depuis, des transmissions irrégulières parvenaient chaque nuit : des impulsions codées, brèves, presque organiques.
 
Et cette nuit-là, le message changea.
 
Dans son atelier, Sweety décryptait le dernier paquet de données. Druyan l’observait en silence, inquiet. Sur l’écran en cuivre étamé, des caractères inconnus s’alignaient… puis un symbole : un engrenage traversé d’un trait vertical. En dessous, un mot.
 
“KRANOS.”
 
“Ce n’est pas de la technologie vergrandienne,” dit Druyan, fronçant les sourcils.
 
Sweety tapota sur son carnet à engrenages, interrogeant les Archives. Rien. Aucun match.
 
“Ce mot n’appartient à aucun dialecte connu de nos bases. Mais il est répété trois fois. Et regarde ça…”
 
Elle zoome sur une carte énergétique de l’ancien monde : au nord du territoire, au-delà des montagnes d’acier, un ancien réseau de lignes mécaniques se rallume.
 
“Un second Cœur,” murmura-t-elle. “Ou… pire. Un ancien sanctuaire abandonné.”
 
Druyan se redressa.
 
“Tu veux y aller ?”
 
“Je dois y aller.”
 
 
Le lendemain, à l’aube
 
Les préparatifs avaient été rapides. Le vieux dirigeable “L’Écluse d’Argent”, à moitié rouillé mais toujours fidèle, fut équipé de modules d’analyse, de turbines renforcées, et d’un canon à électro-vapeur bricolé par Druyan.
 
Leur destination : la Faille Nord, un gouffre oublié entre deux pics, point de passage vers les Terres Gelées, là où les machines gèlent et où les horloges refusent de tourner.
 
Avant de monter à bord, Sweety laissa une lettre au Conseil de Vergrande :
 
“Ne nous cherchez pas. Le signal n’est pas une menace… c’est une invitation. Et s’il existe d’autres Cœurs… alors le vôtre n’est qu’un fragment. - S.”


Chapitre 2 - Le Passage de Kranos
 
Le dirigeable L’Écluse d’Argent fendait un ciel plombé, ses voiles rapiécées vibrant sous les assauts du vent. Les montagnes s’étiraient comme des murailles de glace et de rouille, creusées de tunnels oubliés, de rails suspendus et d’anciennes stations de relais désormais muettes.
 
À bord, Sweety, emmitouflée dans un long manteau d’aviateur en cuir huilé, consultait en silence le compas à flux, un instrument qu’elle avait restauré elle-même. L’aiguille, instable, indiquait un point fixe au nord-nord-est, au-delà de la chaîne de Kar'Mal.
 
Druyan observait les alentours à la longue-vue.
 
"Tu vois ce ravin là-bas ? Je crois que c’est la Faille. Et il y a… des structures. D’anciens ponts suspendus, peut-être. Mais ils ne sont pas vides."
 
"Des traces de vie ?"
 
"Non. Des gardes mécaniques. Immobiles. Comme figés."
 
Sweety fronça les sourcils.
 
"Alors ils n’ont pas été désactivés. Le sanctuaire pourrait encore être alimenté par un second noyau énergétique."
 
Ils commencèrent la descente à travers les courants glacés.
 
À mesure qu’ils approchaient, le paysage devenait surréaliste : des carcasses de dirigeables encastrées dans les falaises, des câbles figés dans la glace comme des toiles d’araignée géantes, et au centre du ravin, un arche de métal noirci, gravé du mot ancien :
 
KRANOS.
 
 
Dans la Faille
 
Une fois posés au sol, Sweety et Druyan avançaient prudemment, torches à gaz à la main. Le silence était absolu, si ce n’est le bruit de leurs pas sur les dalles gelées.
 
Le tunnel menait à une salle monumentale, voûtée, où trônait un automate de guerre, haut de trois mètres, portant le même symbole que celui vu dans le signal : un engrenage brisé traversé d’une flèche verticale.
 
L’automate ouvrit les yeux.
 
Un éclat orange.
 
Il se redressa lentement.
 
Mais au lieu d’attaquer… il s’inclina.
 
Et une voix ancienne, métallique, brisée mais claire, résonna dans la salle :
 
“Gardienne reconnue. Protocole d’accueil activé. Bienvenue à Kranos. Vous êtes attendue.”
 
Sweety échangea un regard stupéfait avec Druyan.
 
"Quelqu’un… ou quelque chose… savait qu’on viendrait."


Chapitre 3 – Le Temple du Premier Signal
 
Guidés par le colosse mécanique, Sweety et Druyan marchaient en silence à travers un ancien corridor circulaire. Les murs, gravés de motifs complexes, représentaient non pas des scènes de guerre, mais des architectures stellaires : constellations, orbites, diagrammes en spirale… Un langage mécanique dirigé vers le ciel.
 
"On dirait un observatoire oublié," murmura Druyan. "Mais conçu… pour parler à autre chose qu’à des planètes."
 
Sweety acquiesça.
 
Au bout du couloir, les portes s’ouvrirent lentement sur une salle circulaire, où flottait une gigantesque structure suspendue : un globe constitué d’anneaux en rotation, chacun gravé de symboles lumineux. Au centre de ces anneaux… une sphère noire. Fissurée.
 
L’automate s’inclina à nouveau et s’éloigna.
 
Un message s’afficha sur une colonne centrale :
 
“Ici fut émis le Premier Signal. Ici fut perdu le Premier Contact.”
 
Sweety s’approcha. Le noyau émettait un bourdonnement à peine audible, comme un cœur mourant.
 
Elle connecta son module de lecture portatif. Des fragments audio surgirent. Des voix, anciennes, inhumaines. Des notes musicales mécaniques. Un code, entre pulsation et langage.
 
Druyan recula, soudain pâle.
 
"Tu as entendu ? Ce n’est pas un enregistrement."
 
Sweety se figea.
 
Le noyau… répondait.
 
 
Une vérité oubliée
 
Sur les murs, les anneaux de la sphère projetèrent des images holographiques. Des visions du passé :
 
° Une cité plus ancienne que Vergrande, peuplée d’êtres humanoïdes aux bras mécaniques.
° Un portail de lumière s’ouvrant dans le ciel, projetant un symbole : l’Œil de Fer.
° Puis, le chaos. Une onde. Le silence. Et enfin… la fermeture du noyau.
 
Druyan tombait presque à genoux sous la charge mentale des images.
Sweety, elle, restait droite.
 
"Ce lieu n’était pas qu’un sanctuaire. C’était une antenne. Et ils ont essayé de contacter quelque chose…"
 
"Et ça a répondu," ajouta Druyan d’une voix tremblante. "Mais ce n'était pas humain."
La sphère noire au centre clignota. Un dernier message se grava sur les murs en lettres d’or rouillé:
 
“Le Second Signal a été relancé. Le Dernier Réveil approche.”
 
Sweety serra sa clé multi-rouage.
 
"On ne pourra plus faire demi-tour."




Chapitre 4 – Le Réveil d’Onyros
 
Le retour à la surface fut marqué par un silence étrange.
 
Depuis l’activation partielle du noyau de Kranos, l’air lui-même semblait vibrer à une fréquence subtile. L’Écluse d’Argent résonnait de petits craquements dans ses soudures, comme si le métal s’éveillait… ou résistait à quelque chose d’invisible.
 
Druyan, penché sur le récepteur à flux, lut les derniers signaux captés.
 
"Ils se rapprochent… On capte maintenant des pulsations dans trois directions différentes. Sud, Est… et au-dessus."
 
"Au-dessus ?" répéta Sweety.
 
Druyan pointa l’antenne principale. Le ciel, d’un gris métallique, était zébré d’éclairs très fins, presque mécaniques. Aucun nuage. Aucun bruit de tempête.
 
"Onyros est en train de se réveiller."
 
 
Le dossier interdit
 
Dans le carnet que Sweety tenait en permanence dans sa veste, elle avait conservé une copie corrompue d’un fragment du Codex des Gardiens, découvert autrefois dans les Archives de Fer. C’était une page arrachée, illisible, sauf deux mots que le programme de restauration avait réussi à isoler :
 
“Projet ONYROS.”

“Inversion du Réel.”
 
Elle montra la page à Druyan.
 
"Je crois qu’ils ont fait bien plus que construire des Cœurs… ils ont tenté de manipuler le rêve lui-même."
 
Druyan déglutit.
 
"Un moteur de rêve mécanique ? Une interface entre l’inconscient et le réel ? C’est de la folie…"
 
Sweety le regarda fixement.
 
"Ou une avancée au-delà du possible."
 
 
Le portail aérien
 
Au sommet d’un pic, à quelques heures de vol, leurs instruments détectèrent un point fixe, un nœud énergétique suspendu à 600 mètres d’altitude, autour duquel les éclairs formaient une spirale inversée.
 
Ils dirigèrent l’Écluse d’Argent vers la tempête silencieuse.
 
À l’intérieur de l’anneau de pulsation, un portail flottait. Ce n’était ni vapeur, ni lumière, ni matière. Juste… une absence, pure, ronde, parfaite. Comme un trou dans la trame du monde.
 
"C’est ça, Onyros," murmura Sweety. "Pas un lieu. Une interface."
 
Ils connectèrent les stabilisateurs.
 
Et la voix se fit entendre une dernière fois, directement dans leur esprit :
 
“Gardiens identifiés. Le seuil est ouvert. Entrez.”
 
Sweety prit la main de Druyan.
 
"On ne rêve plus. Maintenant, on traverse."




Chapitre 5 – De l’Autre Côté du Rouage
 
Le passage fut silencieux.
 
Pas de secousses. Pas de lumière aveuglante. Juste une sensation de chute immobile, comme si l’univers retenait sa propre respiration pendant qu’ils traversaient le seuil.
 
Puis… le calme.
Et une autre réalité.
 
 
Une ville dans le vide
 
L’Écluse d’Argent planait à présent dans un ciel noir-bleuté, sans étoiles. Au loin, suspendue dans un espace sans horizon, flottait une ville verticale, construite à même l’échine de gigantesques engrenages tournant lentement sur eux-mêmes. Des ponts suspendus reliaient les bâtiments, mais aucune vapeur. Aucun bruit.
 
Et pourtant… la ville vivait.
 
Des lumières s’allumaient dans les tours. Des ombres humanoïdes se déplaçaient lentement. Et au centre, un gigantesque mécanisme en forme de spirale inversée battait comme un cœur géométrique. Sur sa surface, gravé en lettres d’argent :
 
ONYROS
 
Druyan murmura :
 
"On est dans un monde construit par une conscience. C’est… une cité-mécanisme."
 
Sweety fixait le centre de la spirale.
 
"Pas seulement. C’est une horloge du rêve. Et si elle tourne à l’envers, alors peut-être que le temps ici n’obéit à aucune règle."
 
 
Rencontre avec les Dormants
 
Une passerelle s’abaissa depuis l’un des anneaux extérieurs. Trois silhouettes les attendaient.
 
Elles portaient des manteaux amples, et leurs visages… n’étaient pas vraiment là. Des masques mouvants, faits de mécanismes flottants, d’yeux brillants, et de plaques instables.
 
L’un d’eux parla, sans bouger les lèvres :
 
“Bienvenue, Gardienne. Vous avez brisé le Silence.”
 
Un autre ajouta :
 
“Vous êtes entrée dans le Rouage Miroir. Ici, votre volonté construit. Ici, votre peur dévore.”
 
Sweety s’inclina légèrement.
 
"Je ne suis pas venue pour dominer. Je suis venue pour comprendre."
 
Les Dormants échangèrent un regard.
 
“Alors vous êtes prête pour le Test du Cadran. Et lui ?” (ils désignèrent Druyan)
 
"Il est avec moi."
 
Un silence lourd. Puis le troisième Dormant conclut :
 
“Alors suivez-nous. La spirale s’ouvre. Mais souvenez-vous : ce que vous pensiez être réel… ne l’est plus.”




Chapitre 6 – Le Test du Cadran
 
Guidés par les Dormants, Sweety et Druyan pénétrèrent dans le noyau central de la spirale inversée. L’air y vibrait d’une énergie étrange, comme si chaque particule attendait leur décision. Des engrenages immenses tournaient dans le vide sans moteur, suspendus par des forces invisibles.
 
Ils atteignirent enfin la Salle du Cadran.
 
Une plateforme circulaire s’élevait au centre, bordée de colonnes vivantes : des mécanismes mouvants qui se rétractaient et s’étendaient comme des êtres respirants. Au milieu, trônait un cadran solaire inversé, aux aiguilles tournant à rebours, projetant des ombres vers la lumière.
 
Les Dormants s’écartèrent.
 
“Vous êtes à l’interstice du rêve et du souvenir. Le Test va révéler qui vous êtes… et ce que vous portez en vous.”
 
Sweety s’approcha. Elle posa la paume sur le Cadran.
 
Et la salle disparut.
Une autre Sweety
 
Elle se retrouva dans un atelier familier… mais vide. Tout semblait figé. Sur la table, une horloge à moitié démontée. Un carnet. Et un message gravé au couteau :
 
“Tu ne peux réparer le monde si tu refuses de réparer la fissure en toi.”
 
Une silhouette se dressa dans la pénombre.
 
Elle portait un manteau d’ingénieure, mais ses yeux… n’étaient pas les siens.
C’était une autre elle. Plus jeune. Ou plus ancienne. Ou… plus brisée.
 
"Tu as abandonné Karys. Tu te rappelles ? L’Autre Cœur. Le premier que tu as déconnecté. Il battait encore."
 
"Ce n’était pas stable. C’était trop risqué."
 
"Tu as choisi la sécurité au lieu de l’espoir. Tu avais peur."
 
Sweety recula.
 
Mais la silhouette tendit la main.
 
"Tu ne peux porter l’Œil de Fer sans assumer tout ce que tu as fui."
 
Elle approcha. Et Sweety, tremblante, prit sa propre main.
 
 
Retour à la spirale
 
Elle rouvrit les yeux. Druyan était là, haletant, à genoux, le visage baigné de larmes.
 
"J’ai vu… une version de moi… que j’ai toujours refusée d’être."
 
"Moi aussi," répondit Sweety d’une voix calme. "Mais elle est en nous. Et maintenant, elle veille."
Les Dormants hochèrent la tête en silence.

“Vous avez traversé le Cadran. Vous êtes des Porteurs du Miroir.
 
“Le cycle est en marche. Vous devrez choisir où bâtir… et où laisser mourir.”




Conclusion – La Clef Silencieuse

De retour à Vergrande, des mois plus tard, Sweety installa une clef codée au centre du Cœur.
 
Elle ne l’activa pas.
 
Pas encore.
 
Car désormais, elle savait que chaque rouage activé… créait une réalité.
 
Et qu’avant de rêver à un monde nouveau, il fallait réparer l’ancien



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