L’Ombre du Sabre
Introduction
Quand les lois échouent à
capturer l’invisible, quand les preuves s’effacent sous la pluie, il ne
reste que l’instinct - et le sabre.
Alex Li, commissaire aguerri, croyait
avoir tout vu. Jusqu’à ce qu’un tueur invisible surgisse du passé, tranchant le
présent avec une précision ancestrale. Des meurtres rituels, un nom oublié
murmuré dans les ruelles : le Kagemusha.
Entre fantôme et guerrier,
justicier ou exécuteur, il défie non seulement la police, mais l’ordre
même du réel. Et dans ce duel entre lame et loi, Alex va devoir affronter plus
qu’un criminel : un code d'honneur venu d'un autre temps… et peut-être, un
reflet de lui-même.
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Chapitre 1 - Pluie sur les Pavés
La nuit
était lourde, imbibée de pluie et de tension. Les gyrophares peignaient les
murs en rouge et bleu dans un ballet hypnotique. Commissaire Alex Li, le
col relevé contre le vent, descendit de sa voiture de service, l’esprit déjà
focalisé sur la scène de crime. Trois corps en cinq jours. Tous égorgés d’un
seul coup. Pas de traces, pas de témoins. Rien d’humain, en somme. Ou
peut-être… trop humain.
La
victime du jour gisait sous un abri de fortune, à deux pas d’un vieux temple
désaffecté. Un homme d’affaire connu, impliqué dans une série de
scandales financiers. La précision de la blessure était déroutante : artère
sectionnée sans bavure, comme si la lame avait dansé avec le vent. Alex
se pencha, scrutant les contours du sol. Une empreinte, partiellement effacée
par la pluie.
Fine. Ancienne. Sandales de
paille ?
Il
redressa la tête, le regard plongé dans la nuit.
« Tu veux qu’on passe la zone au
scanner thermique, Commissaire ? » proposa un agent.
Alex fit non de la tête.
« Non. Ça ne sert à rien. Il est
déjà loin. »
Mais au
fond, il savait qu’il n'était pas loin. Le Kagemusha n’agissait jamais
sans raison. Ce tueur n’était pas un psychopathe - c’était un
exécutant. Quelqu’un qui suivait un code. Une logique. Une mission.
Et Alex
voulait comprendre cette mission.
Il rentra
tard ce soir-là, les murs de son appartement encombrés de dossiers, de
cartes, de photos reliées par des fils rouges. Au centre de ce réseau
chaotique : un sabre dessiné au fusain, et en dessous, un nom gratté à
la main.
KAGEMUSHA
Alex se servit un thé brûlant,
s’assit dans le silence. Son regard glissa vers une vieille photo
accrochée au mur. Lui, plus jeune, en tenue d’entraînement, au dojo de Sangdelune.
Il ferma les yeux.
Le passé revenait. Et avec lui… les ombres.
Chapitre 2 - Le Sabre et la Brume
Le
lendemain matin, la ville s’éveillait dans une brume lourde, presque
surnaturelle. Les gratte-ciels disparaissaient dans le voile blanc comme
des géants fatigués. Alex Li traversait à pied les ruelles du vieux
quartier de Zarnak, le cœur guidé non par les preuves, mais par une
intuition forgée dans le silence des arts martiaux et les trahisons de son
passé.
Il
s’arrêta devant une ancienne échoppe abandonnée. Sur la vitre ternie,
des idéogrammes à demi effacés trahissaient le nom d’un ancien forgeron
japonais exilé à Noctezar dans les années 1950. Il savait que
les sabres légendaires ne naissaient pas au hasard. Ils avaient
une mémoire. Une volonté. Parfois… une soif.
Poussant
la porte, Alex entra. Le bois craqua sous ses pas. À l’intérieur, tout
était figé dans la poussière : une enclume, un établi, et au mur, un vieux
katana brisé dans une vitrine fendue. Sur le manche, un emblème : deux
corbeaux entrelacés.
Il le
reconnut aussitôt. Cet emblème figurait sur la plaie de la troisième victime
- gravé dans la chair.
« Ce n’est pas un tueur que je
poursuis… »
murmura-t-il.
« C’est un héritier. »
Un
mouvement à la périphérie de son champ de vision. Il se retourna,
dégaina par réflexe son arme de service - mais il n’y avait rien.
Pourtant, un détail avait changé. Le sabre brisé n’était plus dans la
vitrine. À sa place : un origami noir, en forme de grue.
Alex l’ouvrit délicatement. À
l’intérieur, une calligraphie fine, nerveuse.
« Tu as
retrouvé le premier souvenir. Si tu continues, tu devras choisir : la justice…
ou l’équilibre.»
Il ferma les yeux, et inspira
lentement.
Quelqu’un jouait avec lui.
Ou le testait.
Chapitre 3 - Le Pacte des Lames
La pluie
avait cessé, mais l’air restait lourd, comme suspendu dans une attente. Alex
Li marchait dans l’ancien quartier de Morvhal, son pas précis, son
esprit aiguisé. Il tenait l’origami noir dans sa poche intérieure, comme
un talisman ou un piège. L’enquête s’était transformée en jeu
d’échecs à une seule règle : ne pas perdre la tête.
Sur une vieille terrasse déserte donnant sur la rivière, il retrouva l’homme qu’il avait secrètement convoqué. Un maître d’armes à la retraite, autrefois instructeur dans les forces spéciales japonaises. Il s’appelait Kaoru, mais Alex l’avait toujours appelé Sensei. Un homme austère, silencieux, capable de trancher une flèche en vol. C’était lui qui lui avait parlé, autrefois du :
« Pacte des Lames».
Kaoru désigna le sabre de bois
accroché au mur.
Un long
silence suivit.
« Et s’il m’a choisi ? » demanda Alex, presque à
voix basse.
Alex l’ouvrit.
Un katana.
Noir. Pur. Connu autrefois sous le nom de Yoru no Kaze, le Vent
de la Nuit. Son propre sabre, forgé pour lui, lorsqu’il s’était entraîné à Xenthar-Prime.
Il l’avait laissé là, dix ans plus tôt, quand il avait choisi la voie de la
loi.
« Tu ne
peux pas affronter une lame avec des lois », murmura Kaoru.
Alex referma la boîte. Il comprenait
désormais : le Kagemusha le forçait à redevenir ce qu’il avait fui. Pas un
flic. Pas un soldat. Mais un homme entre deux mondes.
Chapitre 4 - Sous les Cendres de Xenthar-Prime
Xenthar-Prime.
Douze heures plus tard, Alex descendait du train à la Gare Centrale,
les épaules alourdies par plus que la fatigue du voyage. Son passé
l'attendait dans ces rues calmes, bordées de cerisiers fanés, là
où le silence avait une densité particulière - presque sacrée.
Il
n'était pas revenu depuis dix ans. Pas depuis l'incident.
Le dojo
de son ancienne école d'arts martiaux était encore là, camouflé derrière
une façade discrète. La même porte coulissante. Le même parquet
grinçant. Mais les visages avaient changé. À l’intérieur, un homme l’attendait
déjà, assis en seiza, le regard baissé. Il ne dit rien. Il n’avait pas
besoin.
C’était
l’un des anciens frères d’arme d’Alex, un certain Renji. Fidèle
au poste. Fidèle au silence.
Alex s’agenouilla à son tour. Il
sortit lentement l’origami noir et le posa devant lui. Renji le
prit, le retourna, puis le brûla dans un petit bol de céramique sans un mot.
Le
message était clair : la traque du Kagemusha était une affaire ancienne,
ancrée dans les cicatrices de leur propre école. Le sabre du
tueur venait d’ici. Le style, les mouvements, le blessures
laissées sur les corps - tout parlait d’un élève oublié, ou renié.
Renji finit par rompre le silence.
« Il y avait un treizième.
Tu t’en souviens ? »
Alex resta figé.
« Le fils de Yamato… »
Renji hocha la tête.
« Il a disparu après le duel interdit. Le jour où toi, tu es parti.
Il n’a jamais pardonné. Il a récupéré le sabre noir, et l’a baptisé Tsukikage.
L’Ombre de la Lune. »
Un nom.
Une trace. Un lien.
Alex comprit alors que cette affaire
n’était pas une enquête, mais une vendetta. Une guerre ancienne
remise au goût du sang moderne. Le Kagemusha n'exécutait pas seulement
les coupables d’aujourd’hui - il effaçait les témoins d’un passé que tous
avaient voulu oublier.
Il se releva, le poing serré sur la poignée de Yoru
no Kaze. Le combat n’allait plus tarder.
Chapitre 5 - Duel dans la Brume
Le matin
s’était levé sur Xenthar-Prime dans un silence spectral. La brume
recouvrait les toits comme une couverture de soie humide. Alex Li gravit
les marches menant au sanctuaire de Fushimi Inari, sabre à la ceinture,
l’esprit calme mais acéré. C’est là que tout avait commencé. Et c’est là que
tout devait se terminer.
Entre les
torii vermillon, une silhouette l’attendait. Droite. Menaçante. Immobile.
Le
Kagemusha.
Il
portait un kimono noir, sans ornement, et son masque de fer
laissait entrevoir des yeux calmes - mais brûlants. Dans son dos,
le sabre Tsukikage, dissimulé dans un fourreau d’ébène, pulsait
comme un cœur prêt à frapper.
Alex s’arrêta à dix pas.
« Tu as fui. J’ai été abandonné.
Tu as choisi la justice des hommes. J’ai choisi celle du sabre. »
« Et combien devront encore mourir pour ton équilibre ? »
demanda Alex, la main sur la garde de Yoru
no Kaze.
Un
silence.
Puis le Kagemusha
dégaina. Lentement. Solennellement.
Alex fit de même.
Leurs
deux lames se croisèrent dans un éclair muet. Le combat fut d’une beauté
effroyable. Précis. Silencieux. Deux esprits formés par le même maître, deux
trajectoires opposées, deux philosophies tranchantes.
Les
sabres chantaient. L’un comme une tempête. L’autre comme une prière.
Mais à
mesure que les minutes passaient, Alex comprit : le Kagemusha ne
cherchait pas à le tuer. Il testait sa conviction. Sa volonté. Sa fidélité à la
voie qu’il avait choisie.
Le
dernier échange fut violent. Les deux hommes reculèrent, haletants. Le masque
du Kagemusha tomba au sol, révélant un visage dur, marqué, mais non
dénué de tristesse.
Le Kagemusha
rengaina la sienne.
Puis, dans un ultime salut, il disparut parmi les
torii, englouti par la brume.
Chapitre 6 - L’Héritier du Vide
Une
semaine s’était écoulée depuis le duel dans les bois sacrés de Fushimi Inari.
Alex Li était rentré à Noctezar,
mais tout semblait plus calme, plus lent - comme si le monde avait repris son
souffle. Aucun nouveau meurtre. Aucun message. Aucun indice. Le Kagemusha
avait disparu, emportant avec lui l’ombre de ses intentions et le poids de
leurs passés entremêlés.
Au
commissariat, les affaires urgentes s’accumulaient, mais Alex n’y
prêtait qu’une attention distraite. Il avait rédigé un rapport partiel, parlant
de « crime organisé dans un cadre rituel », assez vague pour
être accepté, assez flou pour protéger la vérité.
Dans son
bureau, il déposa Yoru no Kaze dans une boîte scellée, comme on range un
souvenir qu’on n’ose ni garder ni jeter.
Puis, un
matin, une enveloppe l’attendait sur son bureau. Papier de riz. Sans timbre.
Sans signature.
À
l’intérieur : un second origami. Une grue noire, semblable à la
première, mais marquée cette fois d’un unique mot en kanji :
空 - le Vide.
Et en
dessous, un message manuscrit :
« Il n’y
a ni paix, ni vengeance. Il n’y a que l’équilibre. Tu es prêt maintenant. Ce
rôle t’appartient.»
Alex ferma les yeux, longtemps.
Le Kagemusha
n’était pas mort.
Il
l’avait simplement désigné comme successeur.
Non pas
pour tuer. Mais pour garder l’ordre… là où la justice humaine ne suffit
plus.
Le Commissaire
Li replia
l’origami et le rangea dans son portefeuille, entre sa plaque
de police et une vieille photo de dojo.
Puis il sortit, sous le ciel de Noctezar, en
homme libre - et désormais, héritier du vide.
Conclusion
- Le Poids du Silence
Alex Li savait désormais que certaines
vérités ne s’écrivent pas dans des rapports. Elles se gravent dans la mémoire,
dans la chair, et parfois dans le fil d’une lame. L’affaire du Kagemusha
ne serait jamais classée. Aucun tribunal n’entendrait ses plaidoiries,
aucun média ne révélerait son nom. Car il ne s’agissait pas d’un simple
tueur… mais d’un équilibre ancien revenu défier le chaos moderne.
Désigné
comme héritier d’une voie oubliée, Alex ne devint pas un assassin,
ni un juge secret. Il resta Commissaire. Mais ses méthodes
changèrent. Sa vigilance s’affina. Car il savait, désormais, que la
justice n’est pas toujours un combat entre le bien et le mal
- mais une danse entre l’ordre et l’ombre.
Et dans
cette danse, parfois, il fallait savoir disparaître pour mieux veiller.
Le Kagemusha avait quitté la scène, mais son
esprit rôdait toujours…
Dans le regard de celui qui veille.
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