Les Chroniques d'Elyas Draeven : Deuxième partie
Chapitre 7 : Le Chant des
Brèches
La lumière pâle de la Lune Quantique baignait les ruines d’Aetherys,
cité spectrale ancrée hors du flux principal du temps. Là, entre les reflets
inversés des constellations perdues, s’ouvrait une faille que seul un œil
initié pouvait déceler : un battement de cœur dans le tissu de l’Histoire.
Elyas Draeven observait la brèche, silencieux, tandis
que Mila ajustait les réglages d’un astrolabe modifié par l’Ordre.
Depuis son ancrage, elle avait changé. Plus concentrée, plus présente… mais des
éclats de ses anciennes versions subsistaient parfois dans ses gestes ou ses
silences.
« Elle est instable », murmura-t-elle.
« Cette faille chante. Comme si elle voulait qu’on
l’ouvre.»
« Ou qu’on l’empêche de se refermer », répondit Elyas.
Car au-delà de cette déchirure temporelle, se trouvait l’Éon
Obscur, un domaine légendaire où les Chronomanciens déchus de
l’Ordre Noir avaient fui, emportant avec eux les schémas d’un second
artefact : le Cœur de Paradoxie. Conçu pour répondre au Verre Fendu,
mais dont l'existence même menaçait le fragile équilibre restaurer.
Et dans l’ombre de cette convergence, le nom de Théron
Valek revenait comme une note dissonante.
« Il a disparu depuis le jugement… » nota Mila.
« Non. Il a quitté le Conseil pour rejoindre l’autre
camp. Il croit qu’il faut dominer le Temps. Et maintenant, il a un fragment
du Cœur », confirma Elyas, montrant le cristal noir gravé
de symboles inversés.
Une onde parcourut la faille. Elle s’écarta comme une
paupière de lumière.
Mila s’avança. Elyas l’arrêta.
« Si on y entre, il n’y aura pas de retour. »
Elle se tourna vers lui, déterminée.
« Le Verre Fendu a été réparé. Mais le Cœur de
Paradoxie est encore entier. Il faut choisir, Elyas : contrôler le
flux, ou libérer la trame. »
Un silence.
Puis il hocha la tête. Et
ensemble, ils franchirent la faille.
Et derrière eux, le temps
frémit.
Chapitre 8 : L’Éon Obscur
Le passage à travers la faille fut un arrachement silencieux.
Ni vent, ni lumière, ni douleur. Juste un étirement de l’âme.
Puis ils furent là.
Devant eux s’étendait l’Éon Obscur : un monde figé
dans une demi-nuit violette, où les paysages semblaient faits de souvenirs
oubliés et de pensées non formulées. Des tours flottaient dans le vide,
inversées, leurs fondations suspendues au ciel. Des horloges brisées pendaient
entre des arches fractales. Tout ici était… hors du temps.
« C’est une trame parasite », murmura Mila. «
Un monde issu d’une erreur, maintenu en vie par volonté seule. »
Un murmure les entourait. Des voix anciennes. Des
versions d’eux-mêmes ? Des échos de lignes effacées ?
Elyas serra le manche de son bâton-temporel. Il en
reconnut certains mots.
Des fragments de leur
enfance.
Des regrets.
Des choix non faits.
Soudain, au sommet d’une pyramide
inversée, une silhouette apparut. Vêtu d’un manteau d’ombre tissé de
chiffres mouvants, le regard fixé sur eux, Théron Valek les attendait.
« Vous êtes venus. Je savais que le Verre vous
trahirait. »
Sa voix vibra dans les airs, modulée par une résonance
temporelle qui faisait trembler les pierres elles-mêmes.
« Ce n’est pas le Verre qui trahit, Valek.
C’est toi qui as quitté le chemin. »
« Le temps n’a pas de chemin, Elyas. Juste des
chaînes. Et moi, je les brise. »
Il leva un objet sombre : le Cœur de Paradoxie,
battant lentement comme un cœur humain… sauf qu’il pulsait à l’envers.
Mila fit un pas en avant.
« Ce Cœur… il est vivant. Tu ne contrôles rien. Tu
crois le maîtriser, mais il te façonne. »
Un rire.
Puis, des silhouettes émergèrent derrière Théron : d’anciens
Gardiens, corrompus, fragmentés, réassemblés par la logique tordue de l’Éon
Obscur.
Les Rémanents.
« Vous voulez la guerre des temporalités?» dit Théron.
« Alors voici votre premier champ de bataille. »
Et il planta le Cœur dans la pierre.
Le sol explosa.
Des failles jaillirent dans toutes les directions, ouvrant
des portails vers des époques entremêlées: Myrrhande en flammes, Voldemar
figée dans le gel, le désert des derniers jours…
Elyas brandit son artefact. Mila ferma les
yeux. Ensemble, ils déployèrent un bouclier temporel.
Mais la guerre venait de commencer.
Et aucune époque ne serait épargnée.
Chapitre 9 : Le Shogun des
Boucles
Un éclair écarlate fendit le ciel.
Lorsque le monde se stabilisa, Elyas et Mila
étaient à genoux sur une terre couverte de cendres. Des cerisiers figés dans
une floraison éternelle bordaient un champ de bataille gelé. Des soldats samouraïs
restaient immobiles, mi action, pris dans une boucle impossible. Certains
levaient leurs lames ; d’autres tombaient, sans jamais toucher le sol.
Au loin, un château shogunal lévitait par-dessus un
cratère inversé, tenu en équilibre par des chaînes d’or pulsant au rythme du Cœur
de Paradoxie.
« Où sommes-nous ? » demanda Mila.
Elyas consulta son astrolabe. Les aiguilles
tournaient à reculons, puis s’arrêtèrent sur une inscription en kanji
ancien.
« L’An de la Lame Silencieuse. C’est une époque qui n’a
jamais existé. Un nexus alternatif… verrouillé dans une boucle. »
Un bruissement. Une silhouette les observait depuis une
falaise surplombant la vallée.
Un homme vêtu d’une armure noire incrustée de sabliers.
Son kabuto portait une crête en forme d’horloge fracturée.
Le Shogun des Boucles.
Il descendit sans bruit, les pieds effleurant le sol.
« Gardien. Messagère. Vous marchez dans un rêve d’acier.
Pourquoi êtes-vous ici ? »
Mila s’avança. « Nous sommes venus refermer cette
faille. Le Cœur de Paradoxie alimente ce monde. Il faut l’éteindre. »
Le Shogun hocha la tête.
« Vous ne pouvez l’éteindre. Pas ici. Car ici, je suis le
Verrou. Chaque jour, la bataille recommence. Chaque nuit, elle s’efface.
J’ai choisi cette boucle pour garder le Cœur éloigné des autres. »
Elyas fronça les sourcils.
« Tu es… un Rémanent ? »
Le Shogun retira son masque. Son visage était marqué
de cicatrices temporelles.
« J’étais un Gardien. Le premier à défier Théron
Valek. Il m’a laissé ce monde en prison. J’ai transformé cette malédiction
en rempart. Mais à présent… il l’a trouvé. Il envoie ses agents. »
Une flèche de lumière fendit l’air.
L’un des Limiers de Paradoxe, soldats d’élite de Valek,
traversa le portail en hurlant. Elyas brandit son arme. Mila activa
son gant de stabilisation. Le Shogun dégaina sa lame. Le métal vibra
dans l’air, produisant un son pur, ancien.
« Alors battez-vous, Draeven. Ici, chaque mort
compte. Même celles qu’on revit cent fois. »
La bataille commença.
Des gardiens contre des Limiers.
Des samouraïs figés se mirent à bouger.
Le temps reprenait. Pour mieux se briser.
Chapitre 10 : Le Masque du
Futur
Les tambours du néant résonnaient dans la boucle instable.
Le champ de bataille vrombissait de distorsions. Les
Limiers de Paradoxe, armés de lames polychromiques, affrontaient Elyas,
Mila, et le Shogun des Boucles dans une chorégraphie où
chaque mouvement semblait avoir déjà eu lieu… et pourtant être nouveau.
Mila repoussait l’un des Limiers, sa paume irradiante
de glyphes temporels.
« Ils apprennent à chaque boucle… » dit-elle en
haletant. « Ils adaptent leur stratégie, même dans un monde figé. »
Elyas trancha l’air avec son bâton-chronos, bloquant
une attaque venue d’une autre faille. « Alors il faut faire ce qu’ils ne
peuvent prévoir. »
Le Shogun fit tournoyer sa lame dans un cercle
parfait. « Un acte hors du rythme. Un désaccord dans la mélodie. »
Puis tout s’arrêta. Littéralement.
Le champ de bataille gela.
Les lames, les cris, les vents, les battements.
Et du ciel se déchira un filament d’argent.
Une silhouette tomba lentement au centre de la plaine.
C’était Mila. Mais différente. Plus grande, plus
fine, bardée d’artefacts futuristes. Ses yeux n’étaient plus bleus, mais
dorés, parcourus de lignes de données.
Elle portait un masque de verre brisé.
Elyas recula. « Non… Mila ? »
La Mila à ses côtés haleta, se tenant le crâne. «
Je… je ressens tout. Elle… c’est moi. Une projection future. Une version que
j’ai évité de devenir. »
La nouvelle venue parla
d’une voix douce, métallique.
« Je suis Mila. L’aboutissement. L’unique
survivante de la Guerre des Temporalités… dans une ligne où Elyas
meurt, et où l’Ordre tombe. »
Un frisson parcourut le
champ de stase.
« Je viens vous avertir. Vous n’avez pas assez vu. Pas
assez compris. Le Cœur n’est pas un artefact. C’est une germe. Il plante des
réalités. Il pousse dans le chaos. Et Théron Valek… n’est que le
jardinier. »
Elle tendit un disque d’obsidienne à la Mila
actuelle.
« Ceci est un Noyau de Résonance.
Syntonise-le avec ton Ancre Identitaire, et tu verras ce qui vient. Tu
verras ce que j’ai vu. »
Elyas voulut l’en empêcher. Mais Mila le fixa.
« Tu ne pourras pas la protéger éternellement. Il faut qu’elle
choisisse. »
Un battement. Le temps redémarra.
La Mila actuelle inséra le disque dans son gant.
Son regard devint vide un instant.
Puis elle hurla.
Un cri de mille morts. Mille époques. Mille soi.
Elle s’écroula.
Le Shogun bondit en arrière, l’épée en garde.
Elyas tomba à genoux, serrant sa sœur.
Et dans le ciel, un sablier géant apparut. Son sable
montait à l’envers. Il ne restait que peu de grains.
La voix de Mila s’évanouit
dans les vents temporels.
« Quand le dernier grain tombera… la Purge Temporelle
commencera. Choisissez ce que vous êtes. Avant qu’on vous l’impose. »
Le champ de bataille gela.
Les lames, les cris, les vents, les battements.
Et du ciel se déchira un filament d’argent.
Une silhouette tomba lentement au centre de la plaine.
Elyas voulut l’en empêcher. Mais Mila le fixa.
Son regard devint vide un instant.
Puis elle hurla.
Un cri de mille morts. Mille époques. Mille soi.
Elle s’écroula.
Le Shogun bondit en arrière, l’épée en garde.
Chapitre 11 : Le Fil de
l’Éveil
La boucle tremblait. Les arbres inversaient leur floraison,
les lames tombaient à l’envers, les cris devenaient des soupirs.
Elyas portait Mila dans ses bras, son corps
secoué de spasmes. Le Noyau de Résonance encore actif pulsait contre sa paume,
diffusant des visions qu’aucune conscience ne pouvait absorber seule.
Le Shogun des Boucles s’agenouilla, posant sa lame en
signe de paix.
« Si elle reste ici, elle sera brisée. Le Noyau
veut être déchiffré, mais cette époque est trop instable. »
Elyas leva les yeux vers le sablier géant suspendu
dans le ciel.
« Alors on doit fuir. »
Un choc. Une faille s’ouvrit brusquement dans l’air.
D’autres Limiers apparaissaient déjà, plus nombreux, armés de filets de
stagnation et de projecteurs d’effacement.
« Par ici ! » cria le Shogun, déchirant un pan
de sa cape pour révéler une petite sphère d’ambre.
Il la lança au sol. Un portail d’émergence s’ouvrit. Mais ce
n’était pas un voyage vers une époque connue. C’était une échappée dans l’Entre-Trames
- un espace situé entre les lignes temporelles, hors du contrôle de Valek et
du Cœur.
« C’est instable ! » hurla Elyas.
« Mais c’est le seul endroit où elle pourra survivre. »
Mila, ou son écho, les observait encore depuis une fissure du ciel. Elle murmura, comme un lointain écho :
« Trouvez le Fil Originel… la première boucle. Là où tout
a commencé. »
Elyas sauta dans le portail avec Mila. Le Shogun
les suivit.
Et le monde s’effondra derrière eu
Entre-Trames – Hors-Chronos :
Un monde sans formes. Un vide vivant. Des fils d’argent couraient dans l’espace, suspendus comme des toiles de mémoire. Ici, les pensées devenaient lumière. Les souvenirs, des passerelles. Et les regrets, des armes.
Elyas déposa sa sœur au creux d’une sphère
protectrice. Mila dormait, mais dans son esprit, des voix murmuraient
encore.
Le Shogun observait.
« Elle est à la frontière. Si elle accepte la totalité du
Noyau, elle verra ce que tu n’as jamais osé voir, Elyas. Le passé que
même les Gardiens ont effacé. »
« Le Fil Originel… » murmura Elyas. « Tu
sais où il se trouve ? »
Le Shogun acquiesça
lentement.
« Oui. Mais c’est un lieu interdit. Un point d’origine. Là
où les premiers voyageurs ont percé le Voile. Et scellé… un pacte. »
« Avec qui ? »
Le Shogun ferma les yeux.
« Avec le Temps lui-même. »
Dans la sphère, Mila ouvrit les yeux.
Et une seule phrase s’échappa de ses lèvres, calme, mais
glaciale.
« Je sais où aller. Je l’ai vu. Le Pacte du Commencement. »
Elle regarda Elyas.
« Et il porte ton nom. »
Mila, ou son écho, les observait encore depuis une fissure du ciel. Elle murmura, comme un lointain écho :
Un monde sans formes. Un vide vivant. Des fils d’argent couraient dans l’espace, suspendus comme des toiles de mémoire. Ici, les pensées devenaient lumière. Les souvenirs, des passerelles. Et les regrets, des armes.
Le Shogun ferma les yeux.
« Avec le Temps lui-même. »
Dans la sphère, Mila ouvrit les yeux.
« Je sais où aller. Je l’ai vu. Le Pacte du Commencement. »
« Et il porte ton nom. »
Chapitre 12 : Le Pacte du
Commencement
Ils franchirent le seuil.
Pas un portail. Pas une faille. Un lieu.
Le Fil Originel.
C’était un espace sans horizon, tissé d’une lumière
douce et pulsée, comme si le monde respirait. Sous leurs pas, des dalles
transparentes renvoyaient leurs reflets — non pas tels qu’ils étaient,
mais tels qu’ils auraient pu être.
Mila s’arrêta. Elle se tenait droite, calme. Le Noyau
de Résonance avait trouvé son centre en elle.
« Ce lieu… il ne répond à aucune époque. Il est l’Époque.
»
Pas un portail. Pas une faille. Un lieu.
Le Fil Originel.
Le Shogun baissa la tête. Il ne pouvait avancer plus loin.
Nous limiterons le temps, pour éviter sa ruine.
Mais si un jour, un cœur pur et fracturé arrive ici, porteur du Verre et du Cœur…
Alors le choix lui appartiendra.
Celui de libérer le flux… ou de tout recommencer. »
Elle posa sur le pupitre l’Ancre UNUM, le fragment du Verre Fendu, et le Noyau de Résonance.
Trois volontés.
Le Pacte s’ouvrit.
Deux symboles brillèrent.
Conclusion :
Un Temps Nouveau
Le monde bascula. Mais ne se brisa pas. Les
époques se réorganisèrent. Le passé ne fut pas effacé, mais rendu
accessible.
Le futur cessa d’être un point fixe. Il devint… vivant.
Les Gardiens perdirent leur monopole.
Le temps devint conscience partagée.
Elyas Draeven reposa son bâton. Dans l’Entre-Trames,
il errait désormais comme le Tisseur Libre, un guide pour les voyageurs
du flux.
Mila, elle, fonda l’Académie des Lignes
Mobiles, une école où l’on apprenait à vivre avec le temps,
pas à le contraindre.
Théron Valek disparut. Ou peut-être fut-il
réabsorbé par le Cœur qu’il avait tant convoité.
Quant au Shogun… on dit que, parfois, dans des
boucles anciennes, on l’aperçoit encore. Gardant les mémoires
oubliées.
Et dans la crypte du Verre, scellée à jamais,
une voix résonne doucement, comme un battement d’horloge.
« Le temps n’est plus à réparer. Il est à rêver. »
Le futur cessa d’être un point fixe. Il devint… vivant.
Les Gardiens perdirent leur monopole.
Le temps devint conscience partagée.
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